Sénégal - L'expérience du temps

Je vous propose ici un retour de mon expérience au Sénégal plus directement lié au temps, à la façon dont il peut être utilisé et aux référentiels temporels. Je ne fais pas d’analyse détaillée ici pour conserver un format de lecture rapide.

 

Les salutations

Commençons par les salutations, relativement à celles dont nous avons l’habitude en France, on peut considérer les salutations sénégalaises comme « longues ». On s’enquiert de la santé de la personne mais aussi de celle de sa famille (qui peut être large cf. article « Sénégal – Vivre différemment»), de ses animaux, de ses affaires, etc. Selon les personnes elles peuvent durer plus de 10 min.

 

Le temps présent

A l’exception des villages de brousse très reculés, il y a généralement dans les villages une petite boutique où l’on trouve les produits de base de l’alimentation sénégalaise. Cela signifie en particulier sucre, riz, thé, café, huile, oignons. Les habitants des villages dans lesquels je me trouvais  se rendent à la boutique non pas pour faire des achats pour plusieurs jours mais pour le repas à venir, 10cl d’huile par ci, 20g de sucre par-là, Il y a très peu de réserves, même pour des produits qui peuvent être conservés sans réfrigérateur. Notamment en l’absence de réfrigérateur mais aussi par manque d’argent. L’argent disponible est consacré aux besoins présents.

Lorsque je suis allé en mer avec les pêcheurs de Rufisque, l’argent de la vente des poissons au retour de la pêche était directement dédié aux achats pour le dîner, l’argent circule très vite, en particulier dans le secteur informel auquel je dédie la partie suivante.

 

Le secteur informel

Cette appellation, commune en Afrique, représente ce que nous appellerions d’après moi « travail au noir » ou « petits boulots ». Comme son nom l’indique les activités de ce secteur ne sont pas formalisées, elles échappent à l’impôt et à une évaluation précise. Je peux citer par exemple la pêche, l’élevage, les petits commerces (boutiques), l’artisanat (tailleur, soudeur, menuisier, etc.) ou encore la restauration (des femmes qui cuisinent dans les rues). De ce que j’ai pu voir (c’est-à-dire une partie du pays à une période donnée) et de ce que j’en ai compris (principalement des informations recueillies sur place) ces activités ne sont pas régulées et l’organisation de ces affaires, bien souvent familiales, est très hétérogène. Horaires et sérieux variables, communication plus ou moins claire, lorsque que l’on fait appel à une activité de ce secteur il faut oublier les codes occidentaux. Pas d’heure, on vous donne rendez-vous à 6h? Venez à 8h, peut-être 8h30. On vous dit que vous partez en mer aujourd’hui? Ce sera en réalité demain car il n’y a plus de carburant pour le bateau aujourd’hui. On vous dit que le bus a un temps de parcours de 3h? Comptez en 5 voire plus si le bus n’est pas plein au départ, il va s’arrêter dès qu’il y trouvera une personne au bord de la route.

 

 

L’information

De manière générale il faut connaître les pratiques, c’est-à-dire avoir passé un temps suffisant dans un village ou une ville pour avoir une connaissance suffisante de son fonctionnement, pour savoir où trouver des taxis brousses, des bus, à quelles heures ils partent, etc. Pas d’applications, ou d’abribus avec une belle fiche horaire. Si vous n’avez pas cette information il faut connaître des gens sur place en qui vous avez confiance pour vous donner une information suffisamment précise car comme je vous le disais, 6h peut-être 8h et la place du village peut en fait être l’école à 800m.

 

L’achèvement/ La planification

J’étais surpris de voir de nombreux bâtiments qui semblaient « encore en travaux » d’après la conception que je peux avoir des travaux et en particulier de leur achèvement. De ce que j’ai connu jusqu’à présent en France, lorsque nous lançons un projet, qu’il soit professionnel ou personnel, en particulier pour la construction, une attention particulière est accordée à la fois au temps et à l’argent nécessaire en vue de son achèvement. Au Sénégal, les familles que j’ai côtoyées (donc particulièrement dans le secteur informel), si elles disposaient d’un peu d’argent, lançaient la construction d’un mur ou d’un bout de mur, sans se soucier de quand ni comment serait réaliser le reste des travaux, s’il devait y en avoir un. Le projet se résume à l’intention et non à son achèvement. Pour ce pays à majorité musulmane (95% de la population), le terme « In Shaa Allah » (« si Dieu le veut » en français – j’ai pu trouver plusieurs orthographes de l’expression alors il se peut que ce ne soit pas la bonne) fait partie du mode de vie et des habitudes. "Si Dieu le veut" alors les travaux seront fini un jour ou l’autre mais on ne sait pas dire quand.

 

On retrouve aussi cette remise entre le mains de Dieu dans le langage, les sénégalais, par exemple lorsqu’ils font un trajet, ne disent pas « quand j’arriverai » mais « si j’arrive ».

 

Le téléphone portable

Dans des villages où il n’y avait pas d’eau courante, quasi aucune infrastructure, j’étais toujours étonné de constater que je recevais, partout où j’ai pu me trouver, le signal d’un réseau de téléphonie mobile. Une partie importante de la population que j’ai pu voir possède un téléphone portable permettant d’appeler et d’envoyer des textos. Certaines personnes ont même des téléphones permettant de naviguer sur internet. Pour ces derniers, j’ai pu constater et l’évoquer avec eux, ces téléphones modifient leur rapport au temps et aux autres. Certains me disaient même « ça me prend tout mon temps » … Dans des zones où il y a peu d’infrastructures, très peu, voire aucun divertissement, le téléphone portable représente une porte de sortie pour tromper l’ennui et s’échapper provisoirement des difficultés du quotidien.

 

Le langage

Je me suis également intéressé à la structuration de la langue « traditionnelle » sénégalaise, le Wolof, qui avec la langue française, sont les 2 langues officielles du pays. Dans cette langue la structuration du temps n’est pas la même que celle que l’on peut connaître en français.

- Pour les années on parle en saison de pluie : « cet arbre a 3 saisons de pluie »

- Pour les mois on se réfère aux cycles lunaires (donc décalé par rapport à nos mois)

- Pour les jours et les heures on se réfère plutôt à la religion (musulmane), par exemple le vendredi se traduirait en français, de ce que j’en ai compris , « le jour de la prière (du vendredi) ». Alors que pour les heures il n’y a pas d’heure précise, on se situe entre les 5 prières de la journée : « Entre la 1ere et la 2eme » : c’est-à-dire la matinée.

 

Concernant le langage j’ai aussi pu constater un ralentissement de mon débit de parole « habituel ». Je percevais le débit de parole des Sénégalais, lorsqu’ils parlaient français, comme plus lent que les débits auxquels j’étais habitués. J’ai constaté au bout de la 3eme semaine que je parlais « bizarrement », comme si j’articulais toutes les syllabes des mots. J’avais modifié mon débit de parole sans m’en rendre compte, certainement pour m’adapter au débit de parole local et pouvoir plus facilement communiquer avec eux. 


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