Cet article est un premier retour et sera suivi d'autres articles.
Parti d'Amiens, ma ville natale, le 17 mai, me voici rentré depuis le 9 juillet après 54 jours d'itinérance vers l'Asie qui m'ont mené jusqu'à Hong-Kong.
L'objectif était de partir, de voyager et de me diriger le plus à l'est possible tout en restant les pieds sur terre.
Une des définitions du mot "voyage" données dans le Larousse en ligne* est "l'action de se rendre dans un lieu relativement lointain ou étranger". C'est dans cet esprit que je me suis mis en chemin pour tenter de lier le temps à l'espace parcouru plus qu'à la destination poursuivie.
Cette idée m'a notamment été inspirée par des récits de voyageurs comme Jack London (USA 1876-1916), Nicolas Bouvier (Suisse 1929 - 1998) connu notamment pour son ouvrage intitulé l'Usage du monde, ou encore Sylvain Tesson (France) toujours en activité.
Comment voyager?
Dans cette démarche je ne recherchais pas l'épreuve physique. L'idée était de prendre des moyens de transport évoluant à des vitesses que j'estime appréhendables (Train, bus, voiture, 2 roues, cheval).
Eviter l'errance
Partir dans une direction, sans réelle destination, avec du temps devant soi présente d'après mon expérience un risque: l'errance. L'errance c'est selon moi le manque d'intention. Il me fallait donc des jalons ou intentions auxquels j'ai réfléchi plusieurs semaines avant mon départ:
- Un rêve: monter à bord du train russe parcourant la Sibérie
- Partager une partie de cette expérience avec quelqu'un
- Rendre visite à 2 amis chinois
- Faire le voyage "intérieurement", c'est à dire prendre le temps de réfléchir à des sujets comme la solitude ou encore la nouveauté.
Certes j'avais cette forme de liberté de pouvoir faire "ce que je voulais", d'aller où je voulais, mais cette "liberté" (si je peux l'appeler ainsi) n'avait pour moi pas de sens sans un minimum de réflexion et d'intentions.
J'avais en tête cette citation de Sénèque - philosophe grec (Ier siècle après JC) - trouvée dans ses lettres à Lucilius: "Il n'est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va".
Une partie du projet Kairos
Ce voyage était un projet important mais il est une partie du projet Kairos. Même si j'avais du temps devant moi je m'étais fixé une fenêtre de durée entre 40 et 60 jours notamment en vue de conserver du temps pour la rédaction du livre.
L'itinéraire
C'est avec cette réflexion préalable sur les moyens de transport, les intentions et l'insertion de ce voyage dans le projet Kairos que s'est progressivement dessiné l'itinéraire. Pour prendre le train qui traverse la Sibérie il faut pouvoir se rendre sur le territoire russe en obtenant un visa. Ensuite 2 options s'offraient à moi: traverser la Russie jusqu'à son extrémité Est jusque Vladivostok et passer en Chine ou alors changer de train à Irkoutsk en Russie pour rejoindre la Chine en traversant la Mongolie.
Ainsi je peux diviser mon voyage en 4 parties:
- Partie I : Traverser le territoire de l'Union Européenne jusqu'en Estonie pour passer directement en Russie sans avoir à traverser la Bielorussie (pour économiser un
visa).
Etapes: Amiens - Bruxelles - Cologne - Berlin - Varsovie - Bialystok (Pologne) - Kaunas (Lituanie) - Panevezys (Lituanie)- Riga - Tallinn
12 jours ~ 2700 km
Partie II: Traverser la Russie jusqu'au point frontière avec la Mongolie - Partie du voyage où je fus accompagné.
Etapes: St Petersbourg - Moscou - Irkoutsk (Lac Baïkal)
15 jours ~7000 km
Partie III: Traverser la Mongolie
Etapes: Oulan Bator - Zamyn Uud
10 jours ~1000 km
Partie IV: La Chine
Etapes: Erlian - Beijing - Tianjin - Shanghai - Shenzhen - Hong Kong
17 jours ~3500km
Le voyage en chiffres
Nombre d'étapes : 21
Nombre de pays traversés (hors France): 9
Distance parcourue: ~14 000 km
Distance parcourue en train: ~11 000 km
Durée du voyage: 54 jours
Vitesse moyenne de déplacement sur l'ensemble du voyage: 11 km/h
Etape la plus longue : Moscou - Irkoutsk ~5200 km - 75h de train
Nombre de nuits dans un train: 9
Durée dans une ville étape la plus longue: 10 jours (à Oulan Bator, j'y reviendrai plus tard)
Durée dans une ville étape la plus courte: 2h (Panevezys (Lituanie))
*https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/voyage/82584

L'anglais comme bouée de sauvetage
Ce n'est pas une légende, l'anglais est bien La langue internationale, la langue par défaut qu'utilisent les voyageurs, la bouée de sauvetage quand vous ne parlez pas la langue du pays. Que ce soit en Chine ou en Russie la seule langue étrangère que l'on peut trouver (un peu) traduite est l'anglais.
La facilité de mise en mouvement
En parcourant ces milliers de kilomètres j'ai pu prendre conscience de la facilité que nous avions à pouvoir bouger et à réaliser ces (longs) trajets. En particulier sur le territoire de l'Union Européenne où en plus d'avoir une circulation entre les pays sans entrave il existe plusieurs alternatives pour se rendre à une destination. J'avais ainsi une multitude de choix à la fois dans les modes de transport (trains, bus, covoiturages) et dans les itinéraires pour effectuer mon trajet de France jusqu'en Estonie.
Pour mettre les quelques mots ci-dessus en perspective: La première locomotive date de 1825 (Stephenson) et les premiers moteurs à explosion datent de la seconde moitié du XIXeme siècle. Il n'y a donc pas plus de 2 siècles que de tels déplacements motorisés sont possibles. Avant cette période de révolution industrielle les voyages étaient réalisés à cheval et des relais le long des routes permettaient aux voyageurs et aux chevaux de se reposer.
Le téléphone portable
Il m'a été plus qu'utile pour ne pas dire indispensable. Me permettant de rester en contact avec mes proches, de chercher un horaire de train, d'acheter un billet de bus mais aussi de consulter un plan. Il est pratique, il se tient dans la main, se met dans la poche et peut même prendre des photos. Quand j'ai eu le choix de faire la queue au guichet d'une gare polonaise pour me retrouver face à quelqu'un qui ne parlait certainement pas anglais et acheter un billet sur le site de la SNCF polonaise qui présente une version anglaise j'ai choisi cette dernière option moins coûteuse en énergie, plus confortable et plus rapide.
Il m'a sans aucun doute facilité ce voyage mais avec un peu de recul il en a aussi "aspiré" une partie: cette partie de recherche, d'exploration, d'incertitude, de galère, d'inconfort, de contacts humains (demander son chemin, un renseignement) qui façonnent les souvenirs.
(Je n'écrirai pas que j'ai été en manque de galères, d'incertitudes et d'inconfort et autres)
D'autant plus qu'à part quelques zones reculées en Sibérie, Mongolie et Chine j'ai toujours capté un signal téléphonique.
L'attitude
Dans le voyage il y a une partie plus ou moins importante d'incertitude, d'inconnu notamment en fonction du mode de transport ou encore des aléas climatiques. Mais selon moi voyager est aussi une quête, une quête de ces paysages inconnus, de ces inconnus rencontrés, une quête de cette incertitude, de toutes ces premières fois (la première église orthodoxe visitée, la première nuit dans le train, les premiers pas en Lituanie, la première spécialité culinaire mongole goûtée, etc.).
Il est possible de passer 6h assis dans un train les yeux rivés sur son écran de téléphone et au final de ne pas avoir voyagé.
Le voyage,au sens où je l'entends, comprend une part d'aventure (plus ou moins grande en fonction des envies de chacun). Le terme aventure vient du latin "Adventura" * qui signifie "choses qui doivent arriver" que l'on peut relier à une notion de destin. Le voyage peut se penser aussi comme une philosophie de vie, aller vers l'inconnu mais pas seulement y aller, c'est aussi le rencontrer et vivre ces "choses qui doivent arriver".
C'est cette aventure qui rend le temps long
La satiété
Mon voyage s'est terminé à Hong Kong près de 2 mois après avoir quitté la France. J'étais content de rentrer pour de multiples raisons dont celle d'avoir la sensation d'être "plein". Comme la sensation d'avoir trop mangé, de ne plus avoir ce même appétit d'expériences, de réflexions, de rencontres et de découvertes qu'au début du voyage. C'est donc avec une sensation de sérénité que je suis rentré avec l'impression d'avoir suivi mon chemin et d'être allé où je devais aller.
La fatigue du voyageur
J'ai eu beau prévoir une partie du voyage, avoir mon téléphone pour me faciliter certaines démarches, je n'ai pas pu échapper à ce que j'appellerais " la fatigue du voyageur". Cette forme d'usure de faire face quasi quotidiennement à un nouvel environnement, de défaire mon sac, refaire mon sac, penser à ne rien oublier, vérifier les horaires de départ d'un train/bus, rester vigilant, apprendre quelques rudiments de la langue du pays, apprendre quel est le taux de conversion de la monnaie locale en euros, etc.
Au début j'avais l'impression de "maîtriser" mon chemin, mon voyage mais au fur et à mesure des étapes le voyage m'a placé comme dans le tambour d'une machine à laver et petit à petit je me suis fait lessiver, essorer, cycle court, cycle long, rinçage, la totale. C'est finalement le voyage qui m'a pris en m'éloignant de mon point de départ jusqu'à me faire perdre mes couleurs d'origine.
"Ne pas prévoir"
J'ai expérimenté sur plusieurs parties de ce voyage de ne rien planifier en avance pour les transports, l’hébergement, la nourriture, etc. Ce mode de fonctionnement permet de laisser un maximum d'options ouvertes et d'exalter l'esprit d'aventurier. Toutefois j'ai trouvé l'expérience moins enrichissante car j'étais moins curieux, moins ouvert, focalisé sur un objectif: trouver de la nourriture, un logement ou un moyen de transport.
Finalement tôt ou tard il y a toujours un moment où l'on prévoit. Avant de réaliser l'action, de me mettre en recherche d'un logement par exemple je prévoyais de le faire puis je le faisais. La durée entre la prévision et l'action est juste plus ou moins importante (plusieurs semaines, jours, heures ou minutes) selon les personnes.
L'avion créateur de décalage
Je suis revenu de Hong Kong à Paris en avion en 18h, à comparer aux 54 jours de voyage pour arriver à Hong Kong, cela rend le retour assez brutal. D'une part avec le décalage horaire et d'autre part avec le décalage de "vécu". Ce dernier est le plus difficile à gérer selon moi: En 18h on peut passer d'une culture asiatique dans une ville parmi les plus densément peuplée au monde avec un climat tropical à la France à son pays natal, à un environnement connu. Alors je me suis posé les questions suivantes: Est ce bien réel ? Suis je bien rentré en France ? Est ce que j'étais vraiment à Hong Kong?
Je pense que le "retour " et sa préparation font partie du voyage et qu'il faut y accorder de l'importance et donc du temps pour éviter cette brutalité et pouvoir tirer pleinement partie de ce type d'expérience.
* https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/aventure/7035
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Mafal (mercredi, 17 juillet 2019 10:50)
Mon cher Gautier,
bravo pour cette fabuleuse expérience et merci pour nous l'avoir partagé.
Je te souhaite de tirer le meilleur de cette expérience.
A bientôt.
Amicalement.