Le temps de crise

 

Depuis le début de semaine nous vivons une situation inédite, par l’ampleur du phénomène mais aussi par les mesures qui s’imposent à nous. Alors qu’il y a encore quelques jours le monde était à portée de main en quelques heures d’avion, il se trouve aujourd’hui brutalement réduit. C’est un choc. Choc pour nos habitudes, choc pour notre quotidien, choc pour notre confort.

 

Que nous soyons confinés, soignants, policiers, chauffeurs de camion, professeurs, nos conditions de vie ont été bouleversées cette semaine.

Dans la continuité des expériences que j’ai menées l’année passée je vous propose quelques réflexions sur la situation actuelle.

 

Crise et kairos

Le terme de crise se retrouve bien souvent associé à une situation d’urgence, de stress, de danger. Mais l’étymologie du mot crise en grec se rapproche de l’idée de choix, d’opportunité, de l’instant décisif, du kairos. Je saisis alors l’opportunité pour vous parler un peu plus du kairos.

Le kairos est un concept fugitif, imprévisible, il n’offre de prise que lorsqu’il se présente. S’il est ignoré, s’il n’est pas saisi il s’évanouit, jusqu’à une prochaine apparition dans l’évolution de la situation. La notion de kairos aurait également été utilisée en médecine, notamment par Hippocrate qui le mentionne dans son traité Du médecin, où saisir le kairos serait nécessaire pour l’efficacité de l’acte thérapeutique. On pourrait le rapprocher de l’idée de crise en médecine de l’époque, c’est-à-dire du moment où se jugeait la maladie, le moment du point culminant.

De ce point de vue, toute crise est un moment singulier qui doit être pleinement observé, disséqué, vécu pour saisir les opportunités qui en émergent. Des opportunités pour se ré-former, se ré-inventer mais aussi et surtout des opportunités de réaliser les changements que nous sommes en train de vivre rapidement. La crise est un accélérateur qui met en évidence ces changements que nous peinons à percevoir habituellement car notre attention est bien souvent focalisée sur autre chose.

 

La retraite

Des avions cloués au sol, des rues silencieuses, des routines chamboulées, nous vivons depuis le début de semaine une sorte d’arrêt. Dans ce quotidien où il peut paraître normal d’habiter à 50km de son lieu de travail. Dans cette France où Lyon est à 2h de Paris en TGV. Dans cette Europe atteignable par avion pour quelques dizaines d’euros, le déplacement est roi. Mais ce « monde de déplacement » s’est brutalement pétrifié.

Cette situation m’a rappelé le début de mes expérimentations l’année dernière où j’avais choisi de commencer par la retraite, la rétractation. J’avais choisi de marquer symboliquement le début des expérimentations par une coupure avec mon rythme de travail parisien, par un arrêt dans 2 communautés monastiques.J’y avais notamment effectué 48h en silence.

De cette période silencieuse je me souviens à quel point j’étais agité les premières 24h, cherchant à « faire quelque-chose » dans les quelques m² de chambre qui m’avaient été alloués. C’était inconfortable, déstabilisant, je me retrouvais face à moi sans vraiment l’avoir anticipé. J’essayais en fait de répliquer mes habitudes de vie urbaine dans un cadre différent, trop différent. Cette approche avait plutôt bien fonctionné jusque-là. Mais dans un tel contexte elle montrait ses limites. Il fallait changer d’approche, changer le prisme par lequel j’abordais la situation. Cela tombait à point car j’étais là pour ça. Mais c’est dans cet inconfort que j’ai pris conscience de ces limites et que j’ai remis en question ce que je faisais pourtant depuis des années. Ceci m’a alors permis de vivre plus sereinement les deuxièmes 24h durant lesquelles j’ai pensé à des sujets auxquels je n’avais jamais songé de cette façon. Cette contrainte de silence, que j’avais choisie sans vraiment réaliser ce que cela impliquerait pour moi, m’a obligé à renoncer à une partie de mes habitudes. Mais ce renoncement m’a ouvert à de nouvelles possibilités et surtout il m’a permis d’aborder sereinement l’expérience. 

 

Je retiens également de la vie monastique que ce que l’on pourrait considérer de l’extérieur comme une contrainte, est, pour celles et ceux qui en font le choix, une libération. Libération dans le sens où les moines/moniales renoncent à ce « monde de mouvement ». Une fois ce choix fait, ils/elles ne le remettent pas en question mais l’intègrent dans leur quotidien. Ainsi je retiens que renoncer/faire un choix c’est se libérer.

 

Conditions de vie

Il y a quelques temps je lisais l’ouvrage d’Eckhart Tollé intitulé Le pouvoir du moment présent. Il ressort de cette lecture que nous aurions tendance à confondre notre vie avec nos conditions de vie. Je m’explique.
La vie, d’après E. Tollé c’est le moment présent, ce que l’on observe, ce que l’on sent, ce que l’on ressent. La projection dans l’avenir est une activité du mental. Activité utile mais aussi génératrice de stress et que bien souvent nous ne savons pas interrompre.
Les conditions de vie sont votre lieu de vie, vos possessions, votre travail, etc. Pour E. Tollé nous associons régulièrement, pour ne pas dire continuellement, notre vie à nos conditions de vie, ce qui génère frustration et stress. Nos conditions de vie ne dépendent pas uniquement de nous, elles dépendent des autres, de l’environnement, de facteurs que nous ne maîtrisons pas. La vie, elle, est avant tout intérieure, c’est ce qui se passe en nous, c’est ce sur quoi nous avons la main pour trouver la sérénité.

La base des sagesses bouddhistes est « l’impermanence ». En d'autres termes, le côté non permanent des conditions météorologiques, des gens que nous aimons, des objets que nous utilisons. Savoir composer avec cette impermanence c’est ne pas associer sa vie à ses conditions de vie. Je ne dis pas que les conditions de vie sont à négliger mais je dis qu’il faut accepter leur impermanence pour pouvoir vivre le moment présent.

Le changement de nos conditions de vie actuelles est le reflet de cette impermanence. N’y résistons pas, accueillons ce changement et essayons de nous adapter pour vivre au mieux l’instant présent. 

 

Pas le temps ?

Se retrouver bloqué, face à soi, face à d’autres personnes dans un espace restreint peut-être pénible, inconfortable par rapport à notre référentiel habituel. L’inconfort nous renvoie-t-il à nous? à nos habitudes? à notre capacité d’adaptation? Ceux qui ont pris l’habitude de « ne pas avoir le temps » avant le confinement n'en ont pas forcément plus en étant confiné. Il y a en cela un questionnement individuel à opérer. Que remettons nous en question quand nous disons « ne pas avoir le temps » ?

 

Le collectif

Cette crise soulève aussi une question collective, quel niveau d’inconfort, d’effort, sommes-nous prêt à consentir individuellement pour un salut collectif ?

 

En période de crise nous nous replions sur nos bases. Quelles soient une maison à la campagne, une passion, des relations, des habitudes, c’est sur ces bases que nous pouvons prendre appui pour rebondir. Sont-elles assez solides ? Ne serait-ce pas le moment pour les consolider ? Il y a des opportunités à saisir j’en suis sûr.

 

 


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